Article issu de la newsletter de Santhea « Regards santhea » Magazine n°3 – Octobre 2020
Souvent considéré comme le propre de l’homme, l’art intrigue, questionne et fascine. Simple passe-temps pour certains et réelle passion pour d’autres, l’art est une activité récréative ou professionnelle qui permet, avant tout, de satisfaire un besoin de l’esprit. Cependant, depuis de nombreuses années, des vertus d’ordre thérapeutiques lui sont prêtées et les établissements de soins l’intègrent peu à peu au trajet de soins de leurs patients. Par divers moyens, le monde de la santé s’ouvre à l’art, en vue de maximiser le bien-être des patients.
ASBL La Traversière
L’exemple de l’Atelier 47b, illustre une certaine approche de la pratique de l’art dans le cadre de soins de psychiatries mais il en existe bien évidemment d’autres. L’ASBL La Traversière, pour sa part, s’aide notamment de l’art pour rompre le cercle de la marginalisation dans lequel les patients psychiatriques sont souvent enlisés. Située à Nivelles, l’ASBL regroupe deux institutions, une communauté thérapeutique résidentielle et un centre de jour dédiés à la réhabilitation psychosociale en revalidation psychiatrique. Créée en 1990, l’association a pour mission de gérer des lieux de soins qui promeuvent une psychiatrie progressiste et démocratique. Patricia Klein, Directrice générale et Sandrine Rastelli, Responsable thérapeutique de l’ASBL nous expliquent comment cette philosophie se traduit au quotidien et nous éclairent quant à la place que tient l’art dans leur programme thérapeutique.
L’art dans les veines
Dès sa création, l’ASBL ambitionne d’offrir un cadre thérapeutique différent à ses patients. S’appuyant sur le modèle de la clinique de La Borde, elle s’est surtout inspirée de l’expérience de la psychothérapie institutionnelle telle qu’elle a émergée à l’issue de la 2ème Guerre mondiale en rupture avec la psychiatrie asilaire : « La psychothérapie institutionnelle porte intrinsèquement une vision pionnière de la revalidation psychiatrique, telle que prônée par l’OMS et la Réforme 107, privilégiant une réhabilitation psychosociale holistique. L’empowerment du patient, acteur de ses soins, la mobilisation de ses ressources autour de son projet personnel, l’exercice de responsabilités par le biais du Club thérapeutique, le travail communautaire s’appuyant sur le collectif et le réseau, le partenariat patient-soignant, en sont l’expression. Notre programme thérapeutique comprend notamment les arts plastiques, la musique, l’écriture ou le théâtre en parallèle des groupes psychothérapeutiques ou de développement psychosocial tels que psychodrame, assertivité, estime de soi, vie quotidienne ou retour à l’emploi. ».
L’art tient une place importante dans l’exercice des soins dans l’institution. Il fait partie intégrante de l’ADN de La Traversière, qui l’exploite d’ailleurs sous diverses formes : « La création artistique produite par le patient, mais aussi l’approche de l’art par des visites au musée ou des séances de cinéma, ou encore par l’apprentissage de la musique, permettent aux personnes d’être en lien entre elles, d’être en lien avec elles-mêmes aussi, de se découvrir des talents insoupçonnés, de retrouver une forme de plaisir souvent annihilé par la maladie. De ce fait, la présence de l’art dans notre institution est constitutive de notre ADN car le cœur de notre philosophie de travail considère que nos patients ne se réduisent pas à une maladie. Celle-ci peut aussi être une ressource : la maladie n’est pas qu’une perte ou un manque, c’est aussi un état qui offre des possibilités de perceptions et donc de créations. La maladie est bien-sûr une très grande source de souffrance pour les personnes, mais elle ouvre parfois à une autre manière d’être présent au monde, qui se traduit alors en création artistique, c’est-à-dire par un quelque chose de plus, une production inédite source d’intérêt et de découverte, non seulement pour son créateur mais aussi pour ses spectateurs. ».
De multiples bénéfices
Selon Patricia Klein et Sandrine Rastelli, l’art appuie certains éléments constitutifs 21 d’une prise en charge thérapeutique. L’action de communiquer, par exemple, fait partie intégrante du soin. En effet, lorsqu’un patient confie sa santé physique ou mentale à un soignant, il entre dans une nouvelle relation avec celui-ci et cette relation ne peut évoluer positivement qu’au travers d’une communication régulière et bienveillante. Cependant, le soignant n’entre pas en communication de la même manière avec tous ses patients, certains étant plus réceptifs à certains modes de communication qu’à d’autres. Pour répondre à cette problématique, l’art peut se révéler être un vecteur de communication efficace : « La première préoccupation pour un soignant en psychiatrie est d’assurer un contact avec son patient, une possibilité de se comprendre et de se (re)connaître. La rencontre en face à face peut être difficile pour le patient, et parfois être vécue comme invasive. Souvent, une manière de se rencontrer et d’apprendre à se faire confiance c’est avant tout de faire autre chose que parler ou poser des questions directes. Le fait de faire quelque chose ensemble, comme de l’art, mais aussi la cuisine ou la vaisselle, est un moyen de se rencontrer. Le fait d’être côte à côte plutôt que face à face nous aide, les patients et nous, à nous côtoyer. Le premier bénéfice est donc la création d’un lien. »
Au-delà de ses bénéfices sur la communication et la relation soignant-soigné, l’art offre des solutions, des découvertes ou encore des expériences diverses et variées aux patients : « Chaque patient qui approchera l’art en tirera ses propres bénéfices : le plaisir de faire quelque chose pour soi mais aussi pour offrir, de (re)découvrir une compétence, voire de découvrir quelque chose de soi qui n’avait pas été exploré, le fait de faire quelque chose sans autre but que la chose elle-même. Le contact avec l’art et la créativité amène le patient à se concentrer et se centrer, à dégager son esprit des pensées douloureuses et à faire une place à autre chose. La pratique de l’art permet donc tout à la fois de se rencontrer, se concentrer, remettre en route des dispositions psychomotrices, libérer son esprit, être fier de soi, reconstruire une estime de soi souvent très abîmée. Soigner la souffrance psychique, accompagner vers le rétablissement, c’est rechercher avant tout un éprouvé interne de mieux être, retrouver une certaine quiétude intérieure et une plus grande souplesse dans les relations avec les autres. Pour tout cela, l’art est un allié inestimable. ».
Vague occupation ou réel soin ?
Selon la Directrice générale et la Responsable thérapeutique de l’ASBL, la pratique de l’art dans un parcours de soins vise essentiellement deux finalités différentes : « Une distinction est faite entre « occupation » et « production », considérant que certaines activités sont des moyens de passer du temps, alors que d’autres seraient des sources de progression. ».
Cette distinction est d’ailleurs utilisée pour différencier les centres dits « occupationnels » des centres dit de « réhabilitation » comme La Traversière et La Fabrique du pré, par exemple.
« L’idée sous-jacente est le pari fait sur des « marges de progression » de l’état mental des patients d’une part, et sur leurs compétences, de l’autre. Il y a effectivement une distinction à faire entre handicap mental et maladie mentale. Les premiers sont pris en charge dans des services « occupationnels », tandis que les secondes le sont dans des lieux de « réhabilitation », ce qui implique bien que la maladie psychique n’est pas que pertes ou manques comme peut l’être le handicap considérant que ce dernier ne permet pas à celui qui en est atteint de le dépasser. La maladie psychique, quant à elle, perturbe d’abord et avant tout la possibilité du lien social et les capacités d’adaptation nécessaires à la vie en commun. En effet, la vie quotidienne est faite de routine, mais aussi d’événements imprévisibles qui nous demandent à tous de réagir dans l’instant et de nous adapter : aux humeurs des autres, aux impondérables, aux événements qui surviennent et qui nous obligent à modifier peu ou prou notre manière d’interagir. ».
Au sein de ces deux établissements, l’art est donc considéré comme l’un des éléments du programme thérapeutique au même titre que les rendez-vous avec le psy ou la médication par exemple : « L’activité créatrice et artistique est appréhendée comme un moyen d’expression des émotions, un refuge par rapport aux perturbations de l’environnement, une façon pour le patient de se recentrer et de ne pas décompenser dans les moments émotionnellement plus difficiles. En d’autres termes, ce sont de vrais traitements qui ont une place aux côtés des autres traitements telles que la médication et les rencontres psychothérapeutiques. L’art n’est pas un « petit plus », c’est du soin à part entière qui permet aux personnes de se reconnecter avec elles-mêmes et avec les autres. Le récent rapport de l’OMS a le mérite d’avoir confirmé cette évidence, scientifiquement. ».
Soignants et artistes, ensemble !
L’art étant ancré dans les pratiques et la philosophie de l’ASBL, les soignants de l’établissement sont encouragés à mettre bien plus que leurs compétences professionnelles à profit. Dotés d’un talent particulier ou passionnés par un sujet quelconque, peu importe, ils sont invités à le partager avec leurs patients : « Nos travailleurs exercent leur métier de manière très polyvalente : comme nos patients qui ne se résument pas à leur maladie, nos travailleurs ne se résument pas à leurs compétences professionnelles. Dans leur vie, ils font la cuisine, élèvent des enfants, aiment le cinéma ou la couture, exercent une activité sportive ou artistique. Il a d’emblée été fait appel à leurs ressources et habiletés pour qu’elles fassent partie de leur arsenal de soignants. Nous constatons tous les jours combien les compétences professionnelles de nos collègues s’exercent avec d’autant plus d’intérêt et d’impact qu’ils le font complètement, avec tout ce qu’ils sont et savent faire d’autre. Nos travailleurs ont des talents, au-delà de leur spécialisation en psychiatrie, l’une aura fait le conservatoire, l’autre aura des habiletés dans les arts de la scène, une autre encore se développera en arts plastiques. ».
Fait assez rare que pour être souligné, l’établissement compte également des artistes professionnels parmi les membres de son personnel. C’est ainsi qu’artistes et soignants se côtoient et prennent en charge les patients, ensemble. Une formule novatrice qui souligne une fois de plus les convictions de l’institution vis à-vis de l’art : « Petit à petit, dans notre communauté thérapeutique, ont été introduits des travailleurs vacataires, payés pour venir animer un atelier artistique et nous avons choisi des personnes dont c’était le métier principal, preuve que nous considérons ces ateliers avec le même intérêt que tous les autres métiers du soin. Si nous proposons un atelier peinture, c’est bien pour faire de la peinture et non pas pour faire semblant d’occuper les gens ou détourner la création artistique de son but premier vers une interprétation psychologique hasardeuse de la création. Mais bien sûr, l’atelier artistique, comme toute activité exercée au sein de l’institution a une valeur « d’occasions de rencontres » car sans elles, aucun soin ne peut être donné. En 2000, lors de la création du Centre de jour La Fabrique du pré, nous avons négocié avec l’INAMI la présence d’artistes dans l’équipe. Ainsi, nous avons un artiste plasticien et une musicienne qui font partie de l’équipe. A eux, s’ajoute un artiste metteur en scène qui coanime le théâtre avec notre ergothérapeute. Nous intégrons les artistes à nos discussions cliniques car ils connaissent les patients, sont attentifs à leur état et leurs observations nous éclairent également sur leur parcours de soin. ».
100% participatif
Comme évoqué au début de cet article, La Traversière s’est inspirée du modèle de la clinique de La Borde, créée par le Docteur Jean Oury, pour bâtir son propre modèle. Ainsi, l’établissement a calqué les méthodes de la clinique et ce, notamment en ce qui concerne la participation des patients à la vie ainsi qu’au fonctionnement de l’institution : « Dans nos deux institutions, cet esprit s’exprime via le Club thérapeutique qui est une instance organisatrice interne à l’institution et qui est pilotée conjointement par les patients et les travailleurs. L’ASBL délègue au Club thérapeutique la gestion des ateliers à caractère artistique, culturel et sportif. Concrètement, l’institution confie au Club thérapeutique la gestion d’un budget défini qui doit servir à couvrir les frais de fonctionnement des ateliers, c’est là que se discutent par exemple, l’achat d’un djembé supplémentaire pour l’atelier percussion ou le déblocage d’une somme pour pouvoir assister à une exposition ou encore l’achat d’un appareil photo ou de pains de terre. Parallèlement, le Club thérapeutique organise également les discussions et les décisions sous forme de vote quant à la poursuite ou non d’un atelier et de son évolution. ».
Le Club thérapeutique de l’établissement apporte une réelle plus-value à la prise en charge des patients. En effet, en (ré)apprenant à vivre dans ce véritable microcosme, les patients pourront reproduire ce schéma à l’extérieur et ainsi pouvoir retrouver un équilibre : « Le Club thérapeutique est un véritable outil de soin car il mobilise des ressources et des compétences formidables en termes d’affirmation de soi, de gestion budgétaire, de négociation et d’inclusion sociale, sans parler de l’intégration au groupe qu’il génère afin de créer un véritable collectif institutionnel. Patients et travailleurs se retrouvent ensemble, coresponsables et dépositaires d’une partie de la vie institutionnelle et de sa qualité. Les patients psychiatriques sont souvent très sensibles à la qualité de l’ambiance des lieux, le Club thérapeutique favorise ce travail de et sur l’ambiance tout en actualisant dans la réalité et le concret l’appartenance et la participation des patients à la vie sociale de l’institution comme prototype de la vie sociale à l’extérieur de l’institution. ».